Sonets 13'
Pour voix basse et ensemble
Pierre Jean Jouve parle d'"une profonde incertitude", "d'obscurité même", au sujet des Sonnets de Shakespeare. Leur essence est contradictoire, l'image est tantôt stable, sculptée, s'appropriant - répétitive - les symboles de la permanence, tantôt liquide, brumeuse, mouvante, à l'image de l' "océan dévorant" qui prend "avantage sur le royaume des rivages".
La Nature y est l'abri de l'homme, mais sa Loi est le Temps qui ronge, qui "émousse les pattes du lion, fait que la terre dévore sa propre belle race, arrache les crocs pointus aux mâchoires du tigre féroce et brûle dans son sang Phénix à longue vie".
Les moyens musicaux utilisés s'attachent à rendre sensible cette lutte du stable et de l'instable, du solide et du liquide, du perpétuel et de l'éphémère que ressent, avec une tension extraordinaire, le poète. Echelles, systèmes rythmiques, couleurs, sens "physique" des intervalles, tous ces moyens créent, dans mon esprit, une alternance d'images symboliques dont le caractère, individualisé, entièrement défini au début, évolue vers une ambiguïté de plus en plus marquée. Dans cette effrayante «lutte amoureuse contre la Mort », il n'y a pas d'abri pour un observateur neutre. Le système même de la pièce est mis en cause et finalement détruit par son propre parcours intérieur.
La pièce utilise une sélection d'images-clés des Sonnets de Shakespeare. Cette sélection est opérée selon les mêmes principes qui président à l'élaboration musicale.
Costin Cazaban
William Shakespeare : Sonnets
Fragments choisis
(version française - en prose - de Pierre Jean Jouve)
Yet, do thy worst, old Time: despite thy wrong
My love shall in my verse ever live young.
(XIX)
(Et pourtant fais le pire, vieux Temps! malgré l'injure - par mes vers mon amour est jeune éternellement.)
If Nature (...)
As thou goest onwards, still will pluck thee
back,
She keeps thee to this purpose, that her skill
May time disgrace, and wretched minutes kill.
(CXXVI)
(Si la nature (...) quand tu vas de l'avant te tire vers l'arrière, Elle te garde en ce dessin: de par son art, en disgrâce du temps tuer l'affreux instant.)
So do our minutes hasten to their end
(LX)
( Ainsi se hâtent nos minutes vers leur fin)
This thought is as a death
(Pensée comme une mort)
Ruin hath taught me thus to ruminate -
That Time will come and take my love away.
This thought is as a death, which cannot
choose
But weep to have that which it fears to lose.
(LXIV)
(La ruine m'enseigna à ainsi ruminer - ce Temps viendra et mon amour m'enlèvera.
Pensée comme une mort, et qui ne peut que faire, sinon pleurer d'avoir ce qu'on craint de laisser.)
Devouring Time (...)
... I forbid thee one most heinous crime (...)
My love shall in my verse ever live young.
(XIX)
(Temps dévorant... je t'interdis le plus odieux des crimes... par mes vers mon amour est jeune éternellement.)
Shall Time's best jewel from Time's chest lie
hid?
Or what strong hand can hold his swift foot
back?
Or who his spoil of beauty can forbid?
O none, unless this miracle have might,
That in black ink my love may still shine
bright.
(Le beau joyau du temps sera-t-il dérobé loin du coffre du Temps? Quelle puissante main peut arrêter son pas, et sa rapine de beauté, l'empêcher?
Oh, personne! à moins que ce miracle ait le pouvoir, qu'à jamais mon amour brille en traits d'encre noirs.)
And Time, that gave, doth now his gift
confound.
(LX)
(Le temps qui donna vient détruire son don.)
O, how shall summer's honey breath hold out
Against the wrackful siege of battering days..
(LXV)
(Comment tiendra le souffle mielleux de l'été contre le siège destructeur des jours assaillants?)
Despite thy wrong
My love shall in my verse ever live young.
(XIX)
(Malgré l'injure - par mes vers mon amour est jeune éternellement.)
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